Dans la différence résonne le même,
Le même toutefois couve la différence.
Yu Dying-Gying
AMYGDALE (ami(g)dal). n. f. (1503 ; lat. amygdala “amande”, d´o. gr.). Anat. Toute structure en forme d´amande. Spécialt. Amygdale palatine : chacun des deux organes lymphoïdes situés sur la paroi latérale du larynx, entre les piliers du voile du palais.
VELAIRE . adj. (1874 ; de velum “voile” (du palais)) Phonét. Se dit des phénomènes (voyelles ou consonnes) dont le point d´articulation est proche du palais.
G. n. m. PHON. 1. G sert à noter l´occlusive sonore postpalatale ou vélaire (g) devant A, O, U ou devant une consonne.
OCCLUSIF, VE. adj. (1907 ; “qui ferme”, bandage occlusif, 1876 ; du lat. occlusus, p.p. de occludere “fermer”).
OPERCULE. n. m.(1736 ; lat. operculum “couvercle”). 1. Zool. Pièce cornée ou calcifiée par laquelle les mollusques gastéropodes peuvent fermer leur coquille. Membrane qui recouvre l´ouverture des narines à la base du bec des oiseaux.
Un mal de gorge l´avait retenu à la maison depuis cinq jours. Mais un traitement maison mélangeant jus d´orange et zeste de citron à une proportion de un à cinq commençait à montrer ses effets. Du moins avait-il l´impression que ce concentré de vitamines avait lutté efficacement contre l´infection qui lui nouait la gorge. Bacilles, microbes, spirilles, micro-organismes unicellulaires formant un règne autonome, vibrions, bactéries incurvées en forme de virgule : le dictionnaire seul ne serait jamais venu à bout de ses maux de gorges. Il n´y avait qu´un seul remède : Jus d´orange et zeste de citron. 1⁄5.
Ses amygdales allaient mieux. Elles lui permettaient aujourd´hui de se promener en ville. Un vent frais mais pas agressif, brise de fin d´été, léger remue-ménage atmosphérique, jouait avec les deux bouts de l´écharpe qu´il s´était nouée autour du cou. Le ciel était dégagé, les couleurs de son écharpe ondulaient dans l´air frais : bleu, violet et vert. Dans les profondeurs de sa gorge, le rouge dominait encore, mais le rose reprenait du terrain. Et pas la moindre ondulation d´air frais ici, car bien fermée fut sa bouche, occlusion décidée du canal buccal et respiration nasale régulière. L´air frais, notre compagnon éolien, brise et bise insinuante et insistante qui rythme et règle notre souffle sur son air de plus en plus répétitif maintenant, devait prendre la température ambiante des conduits respiratoires ; doucement, la traversée des poils du nez - haie drue taillée irrégulièrement - et la résistance capillaire l´échauffait déjà considérablement. Par la suite, l´air transmettrait une majeure partie de la fraîcheur restante aux cavités tièdes du sinus, et arriverait par des chemins et canaux quelque peu obscures aux amygdales, aux alentours de 37°, tout juste ce qu´il faut pour ne brusquer personne. Traitement de maison également.
Brise et fraîcheur, le mouvement de l´air lui communiquait son entrain et il prenait du plaisir à suivre les flux hasardeux d´une circulation modérée. Avec harmonie, les automobiles se perdaient dans le système complexe des bronchioles urbaines, la capitale respirait son trafic. Les géométries des signalisations routières murmuraient leurs oracles en blanc et bleu-gris goudron : flèches, trait, flèche courbée, double trait, trait continu. L´univers est un livre, Dieu est un typographe qui a du goût, indéniablement.
Une lumière vive découpait des volumes nets avec son scalpel habituellement précis. La ville se présentait en gravure, hachures exécutées parallèlement, avec un sens prononcé de la régularité. Le promeneur à la gorge convalescente entonna un louange de tous les bureaux d´architectes équipés de règles millimétrées, de crayons bien taillés et d´unités centrales de simulations puissantes. Il traversa le fleuve par un passage souterrain et arriva sur l´autre rive, gauche celle-ci. Derrière lui, sur l´île en forme d´amande que le fleuve contournait paresseusement (se partageant pareillement qu´une principale qui se fend pour contourner la subordonnée, petite nef, ou grande nef, ceci dépend totalement de la volonté du Créateur qui exerce sa tyrannie syntaxique, maintenant donc grande nef au milieu du courant, protégée par la coque étanche des parenthèses), s´élevait une majestueuse cathédrale, nef sur la nef que formait l´îlôt, non, îlot, un seul circonflexe trône dans le royaume insulaire, fermement assis sur la tour du i. Tandis que sur les tours de la cathédrale ne trônait rien.
En face : le Jardin Zoologique, né du caprice acoustique du Prince héritier qui avait désiré entendre rugir des lions pendant la messe. C´est ainsi que naissent les grands sites et monuments : coagulation d´une lubie, crispation d´une boutade, instantané d´un éternuement fantaisiste. Et depuis, dans la nef de la cathédrale, on communiait dans l´univers romanesque de Noé et de son arche. Les cérémonies religieuses s´inscrivaient dans les échos lointains des cris des perroquets et des perruches. Assis dans la demie-obscurité centenaire, on devinait la proximité de la maison des arachnides, la menace du filigrane des toiles. Et un soupçon de serpent glissait dans le chemin de croix.
Il dirigea ses pas vers le portail du jardin zoologique. Il se prépara à voir des éléphants. Et bientôt, la joie de se trouver devant les girafes entra en concurrence avec l´expectative de pouvoir étudier l´oligarchie des sagouins. Il devint déjà tout sociologue. Les oiseaux par contre ne réussirent pas à gagner son admiration. Les plumages l´ennuyaient. Ses goûts allaient décidément vers le pelage ; avec sévérité, il jugea ces pattes ridicules et l´opercule rébarbatif de leurs becs. Ces yeux comme morts ne lui inspiraient qu´antipathie profonde. Seules les conférences des hauts dignitaires pingouins rencontraient son respect. Un jour, il se laisserait imprimer des cartes de visites.
Il avait l´esprit peu systématique et sa promenade mélangea des espèces et des sous-espèces au gré du hasard, à des proportions peu harmonieuses. Après le silence chorégraphique des aquariums, il abordait le piquant des cactus, il oscillait entre vivipare et ovipare sans logique aucune et bientôt, ce désordre le fatiguait horriblement. Il fallait se reposer. Derrière les terrariums s´étendait une pelouse. Il y mangea trois bananes, ce qui l´amusait beaucoup. Le soleil chauffait agréablement, il enleva son coupe-vent, l´enroula et posa sa tête dessus.
Le vent frais du soir le réveilla, il déroula son coupe-vent, s´étira et commença à étudier son plan de métro pour préparer son retour. Aux alentours du Boulevard de Magenta, il découvrit une mygale dans sa poche intérieure. Après la première surprise, il décida de ne point déclarer sa trouvaille. Il la ramènerait chez lui et l´installerait sur la petite commode à côté de la psyché dans sa chambre à coucher. Ceci l´amusait encore.
Aujourd´hui, avec le recul nécessaire, on peut dire qu´ils s´entendirent à merveille. Il avait appris à respecter les caprices de sa belle captive. Et le soir, quand le crépuscule resserrait l´espace noué autour de la gorge de la ville, il fermait la porte, se couvrait les jambes poilues d´un plaid aux couleurs discrètes et lui lisait le roman de sa vie :
“MYGALE (migal). n. f. (1827 ; gr. mugalê “musaraigne” de mus “rat”, et galê “belette”). Grande araignée fouisseuse qui se creuse dans le sol un abri qu´elle ferme avec un opercule amovible).»
Paris, 1995